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Wednesday, October 19, 2005

A Cuba, les prisonniers politiques ont perdu tout espoir de libération


A Cuba, les prisonniers politiques ont perdu tout espoir de libération
LE MONDE | 18.10.05 | 13h39  •  Mis à jour le 18.10.05 | 13h39

A Cuba, le journaliste Mario Henrique Mayo, condamné à vingt ans de prison en 2003, a essayé de se suicider deux fois. Mercredi 12 octobre, son épouse et sa mère ont pu lui rendre visite. "Il s'est écrit "Innocent" et "Liberté" e n grandes lettres sur le corps, à l'aide d'une lame de rasoir ou d'un clou, a raconté sa femme, Maidelin Guerra, à Reporters sans frontières. Il nous a dit qu'il continuerait à l'écrire jusqu'à ce qu'il ne reste plus de place, et qu'après il se suiciderait."

Le 4 octobre, Victor Rolando Arroyo, journaliste condamné à vingt-six ans de prison en 2003, a mis un terme à sa grève de la faim, à la demande du cardinal Jaime Ortega, primat de l'Eglise de Cuba. Après vingt-cinq jours sans aliments, il délirait et croyait se trouver à la prison de Guantanamo, alors qu'il avait été hospitalisé à Holguin. Il protestait contre le harcèlement de l'officier de la police politique chargé de son suivi.
Le 10 octobre, c'était au tour d'Omar Pernet, 59 ans, condamné à vingt-cinq ans de prison en 2003, d'entamer une grève de la faim. Blessé pendant le transfèrement d'une prison à une autre, il "soupçonne la Sécurité de l'Etat -la police politique- de vouloir -lui- amputer la jambe, pour ensuite -le- relâcher avec une licence extrapénale".
Julio Antonio Guevara est un des 14 prisonniers politiques à avoir bénéficié en 2004 d'une "licence extrapénale" , une sorte de liberté conditionnelle pour motifs de santé, révocable à tout moment. Il attend une greffe de rein ou l'autorisation pour quitter le pays, sans avoir de réponse depuis le mois de mai. Le plus jeune des 75 opposants sommairement jugés en 2003, Lester Gonzalez, 27 ans, condamné à vingt ans de prison, ne se porte guère mieux. Toujours détenu, il saigne souvent par le rectum depuis plus d'un an.
PRESSION ACCRUE
Alors que les 336 prisonniers politiques cubains ne disposent d'aucune perspective de libération ou d'amélioration de leur sort, la pression sur les dissidents a connu un raidissement avec l'"action de répudiation" dont a été victime un représentant de l'opposition modérée, Manuel Cuesta Morua, porte-parole des sociaux-démocrates.
"Lundi 10 octobre, à 8 heures du matin, 300 personnes se sont rassemblées devant l'appartement de Marta Cortizas et Eugenio Leal, où nous éditons la revue publiée sur Internet Consenso, raconte M. Cuesta Morua joint par téléphone par Le Monde . A midi, je me suis approché pour soutenir ce couple de membres de l'Arc progressiste -gauche sociale-démocrate- . Un groupe de quatre-vingts partisans du gouvernement m'a traité d'annexionniste -au XIXe siècle, partisan de l'annexion de Cuba aux Etats-Unis-, de Nègre de merde, de Nègre ingrat et de pédé. Malmené, j'ai maintenu mes mains levées pour éviter la violence."
Ces "actions de répudiation" , fréquentes dans les années 1980 et 1990, sont réapparues récemment. Le lendemain, Reinaldo Escobar, rédacteur en chef de Consenso , a été détenu près du siège de la revue, insulté et conduit au poste de police. "Lorsque Eugenio Leal s'est présenté sur son lieu de travail, on lui a dit de prendre des vacances, premier pas vers un licenciement destiné à le priver de moyens de subsistance , poursuit M. Cuesta Morua. Voilà le harcèlement auquel sont soumis ceux qui cherchent des changements pacifiques à Cuba."
" Tout cela est orchestré par l'ensemble des autorités, le Parti communiste, le gouvernement et la police , précise l'opposant social-démocrate. Une répression de basse intensité, invisible, a été mise en oeuvre, destinée à promouvoir une solution finale à la cubaine. Il s'agit d'en finir avec les espaces minimes de tolérance qui existaient encore pour exprimer des opinions divergentes. Consenso est éditée sur Internet, car nous n'avons pas les moyens pour l'imprimer. Elle attire des intellectuels dans l'île et à l'étranger. Cette alternative modérée, constructive et progressiste dérange, parce que nous sortons du schéma de la propagande officielle, nous ne dépendons ni des Etats-Unis ni de l'exil de Miami, et nous sommes de gauche."
Manuel Cuesta Morua approuve la recherche d'un dialogue entre l'Union européenne et La Havane. Toutefois, "le dialogue n'a jamais dépassé le stade des intentions , déplore-t-il. Aucun résultat n'est visible. Le gouvernement cubain ne semble pas intéressé par les relations avec l'Europe, car il dispose du soutien du Venezuela, qui ne s'accompagne d'aucune exigence en matière de droits de l'homme. Sans le parapluie de protection de l'Union européenne, l'opposition serait encore plus démunie."


Paulo A. Paranagua
Article paru dans l'édition du 19.10.05

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3222,36-700484,0.html
 

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